La Rencontre ou Bonjour Monsieur Courbet

Courbet La rencontre

Courbet Gustave

(Ornans, 1819 – La Tour-de-Peilz (Suisse)), 1877
La Rencontre ou Bonjour Monsieur Courbet, 1854
Huile sur toile
132 × 150,5 cm
Inv. 868.1.23

Provenance : Don Alfred Bruyas, 1868.

Historique : Montpellier, peint par l’artiste pour Alfred Bruyas (1821-1877), 1854 ; don d’Alfred Bruyas au musée Fabre, 1868.

 

LOCALISATION

Universellement célèbre, véritable icône de l’art du XIXe siècle français, La Rencontre immortalise l’arrivée à Montpellier du peintre au mois de mai 1854. Courbet avait quitté la diligence un peu avant la ville et avait rencontré son hôte accompagné de son domestique Calas et du chien Breton. La scène se situe non loin de la demeure d’Émile Mey (un ami de Bruyas) à quelques kilomètres de Montpellier, à l’intersection de la route de Sète et du chemin de Saint-Jean-de-Védas à Lattes, en direction de Mireval. En réalité, Courbet emprunta la récente ligne de chemin de fer et sa tenue vestimentaire légère, son attirail de peintre suggèrent plutôt qu’il s’en retourne d’une journée d’excursion sur le motif. Les indications topographiques restent floues et peu identifiables. Comme l’ont noté la plupart des commentateurs, cette rencontre se situe à l’évidence « sur le terrain de l’art ». 


Le tableau s’inscrit dans la continuité des achats et commandes de l’année précédente, en particulier du Tableau-Solution qui établissait un véritable pacte d’amitié et de collaboration entre l’artiste et le collectionneur.
La composition claire et efficace selon un schéma tripartite hérité du néoclassicisme met en scène le chétif collectionneur, âgé de trente-trois ans, vêtu d’un élégant caban vert sombre et suivi de son domestique, confronté au robuste travailleur, de deux ans son aîné. Courbet, bien que décalé sur la droite, de profil, s’est donné le beau rôle avec son habit clair qui accroche la lumière, la belle tête sombre, la barbe « assyrienne » découpées sur le ciel, et le bâton solidement ancré dans le sol qui lui donne des allures d’apôtre des temps nouveaux, impatient de « débuter dans la grande vie vagabonde et indépendante du bohémien » (Francis Wey). 

 

Les deux hommes presque sur un pied d’égalité laissent deviner le lien d’interdépendance qui les unit : Bruyas a besoin du peintre en qui il a reconnu les qualités supérieures pour réaliser les œuvres dont il a le projet ; Courbet, conscient de sa valeur, a besoin du soutien affectif et financier du Montpelliérain, homme de goût fortuné.

En élevant au rang de la peinture d’histoire un fait divers de caractère privé, somme toute banal, Courbet poursuivait son œuvre de sape et de renversement des hiérarchies établies. Le thème de la rencontre avait d’ailleurs une riche iconographie, en particulier religieuse, que Courbet ne pouvait pas ignorer (Éliézer et Rébecca ; Salomon et la Reine de Saba ; Visitation de la Vierge Marie, etc.). 


Le schéma général de la composition lui a été suggéré par une estampe populaire, Les Bourgeois de la ville parlant au juif errant, gravée par Pierre Leloup du Mans en 1831. Son ami Champfleury la reprendra en frontispice de son ouvrage fondamental paru en 1869, Histoire de l’imagerie populaire. À travers Champfleury, découvreur des frères Le Nain, Courbet a pu être mis en contact avec leur art dans lequel on trouve déjà des silhouettes hiératiques, comme à l’arrêt, « monumentalisées » devant la vaste plaine picarde. Le voyage de Courbet en Hollande en 1846, si déterminant pour l’affirmation de son réalisme, a pu lui fournir maints exemples notamment à travers les paysages d’Albert Cuyp (1620-1691). À ces sources probables, il convient d’ajouter l’extraordinaire pouvoir d’évocation de la pâte colorée : fluide, déliée avec de savoureux empâtements qui préservent la fraîcheur de l’esquisse sur le motif ou au contraire solide et ferme, selon l’enseignement des maîtres hollandais ou espagnols que Courbet admirait.

 

Le tableau entre dans la légende lors de sa présentation à l’Exposition universelle de 1855 ; il « fait un effet extraordinaire » selon les dires du peintre et provoque la verve des caricaturistes et la hargne des critiques. 
Bruyas, blessé, soustrait le tableau à la vue du public jusqu’à sa donation au musée Fabre en 1868. Enfin, Théodore de Banville, parodiant Victor Hugo, s’inspira du tableau de Courbet dans une des Odes funambulesques : 

« Et le sombre feuillage évidé comme un cintre, 
Les gazons, le rameau qu’un fruit pansu courbait, 
Chantaient : “Bonjour, Monsieur Courbet
le maître peintre !
Monsieur Courbet, salut ! Bonjour,  Monsieur Courbet !” »