Vue de village
Ce chef-d’œuvre de Frédéric Bazille, un des emblèmes forts du musée Fabre, fut réalisé par l’artiste durant l’été 1868 pendant son séjour dans la propriété du domaine de Méric, aux portes de Montpellier. Bazille a souvent fait poser ses proches dans cette résidence estivale : d’après la tradition familiale, il fait poser ici la fille du métayer italien de ses parents, assise à même le sol sous un pin parasol, à contre-jour, ayant revêtu pour l’occasion une robe de fête de mousseline blanche à fines rayures roses.
Elle regarde gravement le peintre ; au-dessous d’elle, on distingue les méandres paresseux de la rivière, le Lez, et dans le fond, le village de Castelnau et le clocher roman de l’église Saint-Jean- Baptiste. L’ombre rafraîchissante du premier plan avec les verts intenses de la végétation, la coulisse savamment calculée du pin à droite magnifient le paysage urbain construit dans la lumière qui préfigure déjà Paul Cézanne.
Le tableau frappe par son extraordinaire luminosité et la splendeur de la palette colorée : les rouges éclatants du ruban et de la large ceinture, les noirs profonds de la chevelure, du ras-du-cou, le blanc cotonneux de la robe travaillée en glacis délicats resplendissent dans cet écrin de verdure, d’ocre et de bleu délavé. Une touche ferme et solide, qui ne cède jamais comme chez Claude Monet aux tentations du flou et de l’imprécis, parvient, presque miraculeusement, à restituer les sensations délicieuses de l’instantané.
Berthe Morisot admire l’œuvre présentée au Salon de 1869 et écrit en termes louangeurs à sa sœur Edma le 5 mai : « Le grand Bazile [sic] a fait une chose que je trouve fort bien ; c’est une petite fille en robe très claire assise à l’ombre d’un arbre derrière lequel on aperçoit un village ; il y a beaucoup de lumière et de soleil. Il cherche ce que nous avons si souvent cherché : mettre une figure en plein air et cette fois-ci, il me paraît avoir réussi. »