L’Hiver dit La Frileuse
L’Hiver, surnommé La Frileuse, fut commandé à Houdon par Anne Charles Modenx de Saint-Wast (1709-1790), conseiller et secrétaire du roi, receveur général du vingtième à Paris, directeur général des domaines à Poitiers. Son hôtel, aussi fastueux qu’élégant, situé rue Saint-Honoré le long du jardin des Tuileries, abritait dans sa bibliothèque La Frileuse, conçue vraisemblablement dès 1781, comme en témoigne la petite esquisse en terre cuite acquise en 1995. La Frileuse fut achevée en 1783 et exposée la même année dans l’atelier du sculpteur à la bibliothèque du roi, selon la mention du livret du Salon.
Depuis l’Antiquité, par la suite au Moyen ge et surtout à la Renaissance, on avait coutume de représenter l’hiver sous l’aspect d’une vieille femme ridée ou, plus tardivement, d'un vieillard barbu.
Au XVIIIe siècle, dans un marbre destiné à Catherine de Russie, Falconet (1716-1791) représente l'hiver (1763-1771, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage) sous les traits d’une jeune fille assise, tête baissée, revêtue d’un ample drapé à l’antique qui laisse apparent un sein. À ses pieds, comme dans l’esquisse de Houdon, un vase brisé par le gel. Houdon, qui a sans doute eu indirectement connaissance de la statue de Falconet, se montre beaucoup plus audacieux et novateur en prenant ses distances avec les codes allégoriques : il déshabille entièrement sa gracieuse enfant dont le châle, dans sa partie haute, sert à mettre en valeur les rondeurs délicates du corps.
Ce glissement vers plus de naturel qui effaroucha les instances académiques assura aussi l’incroyable succès de l’œuvre auprès des amateurs. Si le regard moderne s’est habitué à cette fine silhouette, grave et sensuelle à la fois, si souvent reproduite, nul doute qu’elle déconcerta en son temps, comme le montre cette critique quelque peu ironique au Salon de 1791 où Houdon exposait le bronze de sa Frileuse, propriété du duc d’Orléans (New York, The Metropolitan Museum of Art) : « La Frileuse de Monsieur Houdon semble manquer d’effet. Quand on a bien froid, on cherche à ramasser tous ses membres, et l’on se couvre plutôt le corps que la tête. »
Au fil du temps, au même titre que certains tableaux de Bourdon, de Courbet ou de Bazille, la petite pauvresse de Houdon, qui claque des dents dans son marbre pur veiné de bleu, est devenue sans conteste un des emblèmes forts du musée de Montpellier.