Sans titre
C’est vers le milieu des années 1960 que Claude Viallat émerge sur la scène artistique française : comme de nombreux artistes de sa génération (Michel Parmentier, François Rouan, Pierre Buraglio, Joël Kermarrec…), Viallat opte pour l’abstraction, stimulé en cela par sa découverte de la peinture américaine. Il engage alors une analyse critique des codes picturaux traditionnels en énumérant les différents paramètres qui constituent l’œuvre (châssis, toile, forme, couleur). Annexer de nouveaux matériaux, faire éclater l’espace, mettre en scène le travail du peintre, rechercher l’anonymat, assurer la précarité de l’œuvre sont quelques-uns des idéaux du groupe Supports/Surfaces dont Viallat est l’un des membres fondateurs.
Dès 1966, l’artiste met au point un système pictural auquel il demeure fidèle et qui lui permet d’un coup d’évacuer le problème de la représentation : utilisation d’une forme aussi neutre que possible évoquant une palette ou un osselet. Cette « forme » entre en contact avec des supports variés, en se répétant à l’infini : draps de lits, toiles de tentes, rideaux, sacs de jute, parasols, voiles de bateau, culs de fauteuils. Ces rebuts de la civilisation sont annexés dans le champ de l’art par l’artiste avec sérieux, autant qu’avec une joie naïve et une bonne part d’ironie.
Bien vite, les supports neutres et purs du début laissent place, à partir du milieu des années 1970, à des formes de plus en plus complexes et heurtées à travers des « raboutages » hâtivement collés qui font penser aux collages cubistes de Georges Braque ou de Pablo Picasso.
Les motifs préexistants des supports, comme dans les bâches militaires, rugueuses et compartimentées, autorisent les combinaisons les plus variées. La forme, toujours la même, rythme inexorablement ces espaces, semblant se jouer de toutes les difficultés.
Dans certaines toiles de grand format (Sans titre, 1996, 290 × 424 cm), l’effet all-over est à son maximum d’efficacité. Jamais borné par aucun obstacle, l’artiste semble habité par une sorte d’ivresse de l’expansion infinie. L’exubérance de la couleur est à son comble avec des reflets moirés qui sont autant un hommage à l’art de Venise (Véronèse, Titien) qu’à Henri Matisse auquel Viallat est assidûment resté attaché, dialoguant à l’occasion avec son œuvre à travers des toiles hommages superbement colorées.
Toujours fidèle aux principes fondateurs du mouvement Supports/Surfaces, Viallat s’inscrit néanmoins dans une longue filiation des peintres de la couleur qui va d’Eugène Delacroix en passant par les fauves (André Derain, Henri Matisse, Auguste Chabaud) jusqu’à Simon Hantaï.
Viallat n’a jamais dit son dernier mot. Installé à l’intérieur d’un travail « nombreux et spiralé », l’artiste guette ces « infimes déplacements », ces écarts qui orienteront l’œuvre à venir et lui apporteront, après coup, sa vraie signification.