Jeune femme assise devant la fenêtre
De toutes les femmes peintres impressionnistes – Mary Cassat, Eva Gonzalès, Marie Bracquemond –, Berthe Morisot occupe certainement la position la plus éminente. Présente dès la première exposition du groupe chez Nadar en 1874, elle ne manque que celle de 1879 (après la naissance de sa fille, Julie Manet), et finance avec son mari les expositions de 1882 et 1886. Son œuvre abondante se développe en tenant à distance l’influence des fortes personnalités qui l’entourent, et apporte au groupe une touche toute particulière, dont la rapidité et la fraîcheur sont les meilleures qualités.
Fille de préfet, elle grandit à Bourges dans un milieu « austèrement bourgeois » (Auguste Renoir) qui lui permet cependant de donner libre cours à une inclination pour les arts qu’elle partage avec sa sœur Edma. Les deux jeunes filles suivent d’abord les conseils de Geoffroy Alphonse Chocarne (1797-1892), puis de Joseph Guichard (1806-1880), élève d’Ingres et fervent admirateur d’Eugène Delacroix, avant de travailler avec Camille Corot à Ville-d’Avray. Berthe Morisot débute au Salon en 1864 et copie inlassablement les maîtres au Louvre ; au cours d’une de ces séances, elle rencontre Édouard Manet, dont elle devient le modèle favori. Elle apparaît dans Le
Balcon (1868-1869, Paris, musée d’Orsay) et dans une remarquable série de portraits individuels, dont le fameux Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872, ibid.). Devenu son beau-frère, Manet l’encourage et l’introduit auprès du marchand Paul Durand-Ruel.
Dans ces années de formation, Berthe Morisot poursuit avec opiniâtreté un but commun aux futurs peintres impressionnistes : mettre une figure en plein air. Après Frédéric Bazille, dont elle a admiré la Vue de village, elle y parvient à son tour en 1873 avec La Lecture, dite aussi L’Ombrelle verte (Cleveland Museum of Art). Parallèlement, elle se fait connaître comme peintre d’intérieurs, de portraits intimistes dont le plus célèbre exemple est Le Berceau (1874, Paris, musée d’Orsay).
Ces deux thèmes, qui traversent tout son œuvre, fusionnent de façon magistrale dans L’Été, ou Jeune femme près d’une fenêtre, que Morisot présente à l’exposition impressionniste de 1880. En 1870 déjà, elle exposait au Salon une Jeune Femme à sa fenêtre (Washington, National Gallery of Art) où, dans un intérieur bourgeois, une jeune femme élégamment habillée, assise dans un fauteuil, fait face à une fenêtre ouverte par laquelle on aperçoit un paysage urbain. Dans le tableau de Montpellier, le renversement est consommé : la jeune femme se détache dans l’embrasure d’une porte-fenêtre qui laisse pénétrer l’atmosphère d’un jardin fleuri dans la pièce où elle se tient. Les seuls détails qui permettent de situer la scène, un dossier de fauteuil et le rideau sur la droite, sont si rapidement esquissés qu’ils sont absorbés par la description de ce morceau de nature qui revient au premier plan. La réussite essentielle du tableau réside dans cette fusion de l’intérieur et de l’extérieur, de la nature et du modèle : on ne sait plus si les fleurs appartiennent à la coiffure de la jeune femme ou au buisson qui l’entoure.